ATTENTION ÎUVRES PIEGEES

Je voudrais attirer lĠattention ici sur une caractŽristique gŽnŽrale et assez peu anodine des Ïuvres de Brigitte Zieger, le fait quĠil sĠagisse au fond dĠinsidieuses machineries de mise en question de lĠart, ne cessant pas cependant de nous rendre celui-ci toujours et encore nŽcessaire, dans un de ces fŽconds et insolubles paradoxes de la post-modernitŽ.

SystŽmatiquement en effet le regardeur est attirŽ et sŽduit, puis pris au pige de son gožt pour de si belles compositions: cĠest que rentrent dans leurs constituants tout ce que le monde compte comme signes visibles de toutes sortes de violences.

DŽveloppons notre approche avec les dessins de la sŽrie Eye-Dust. Trs efficaces de loin, ˆ cause dĠun certain minimalisme et de lĠisolement de la forme sur le fond vierge, surtout sĠils sont prŽsentŽs en sŽrie, les dessins captent le regard et ne le l‰chent plus jusquĠau rapprochement maximal qui comblera notre curiositŽ pour la touche, la technique, et pour la raison des scintillements entrevus au passage. IndŽniablement, nos pupilles gustatives sont satisfaites : de loin les variations formelles nous enchantent (explosion concentrŽe, explosion bifurcante, explosion en arbre, en chou fleur, en nuŽeÉ), de prs nous apprŽcions la condensation du sens puisquĠil sĠen niche jusque dans le geste graphique, qui nĠest autre que celui du maquillage fŽminin des yeux (lĠombre ˆ paupires dŽposŽe puis estompŽe), parangon quant ˆ lui de la beautŽ imposŽe, normŽe, marketŽe.

Comment faire alors avec le sujet manifeste de cette sŽrie ? Comment traiter avec la culpabilitŽ de considŽrer avec dŽlectation esthŽtique (jusquĠau scintillement des paillettes qui figurent parfaitement des rŽsidus de mŽtal incandescents et mortels) ce qui est quand mme une sŽrie dĠimages de destructions plus ou moins massives ou dĠessais pour en causer ? Pire, comment faire avec la certitude que sans ce conflit esthŽtique dŽrangeant tout cela aurait beaucoup moins dĠintŽrt ?

Regardons maintenant les Sculptures anonymes. Le pige quĠelles nous rŽservent nous engage plus physiquement encore. Il se dŽploie dans notre circulation autour des Ïuvres. Nous pensons les avoir comprises au moment o nous reconnaissons, derrire ces figures anonymes de personnages exŽcutant des gestes anodins ayant leur sens dans lĠespace mme dĠexposition (regarder quelque chose, sĠavancer vers quelquĠun, transporter des objetsÉ), des ic™nes historiques de rŽvoltes contre des pouvoirs rŽpressifs, injustes et prŽdateurs. Puis nous en faisons le tour, et nous constatons quĠil ne sĠagit que de demi-sculptures, des sculptures creuses, des images inachevŽes. Nous reparlerons plus tard du fait que les mŽtaphores semblent toujours issues chez Brigitte Zieger du travail lui-mme (la sculpture creuse rŽsultant ici de la technique du moulage, et trs probablement aussi de lĠabsence dĠinformation sur lĠenvers de la scne, exposant en cela sa dimension mŽdiatique, sa nature, pour nous qui sommes trs loin de ces Žvnements, photographique). Nous sommes en tout cas confrontŽs dĠune part ˆ de la disparition (dĠune moitiŽ de lĠimage, et de lĠindividu auteur de lĠŽvŽnement bien sžr), dĠautre part ˆ une invitation ˆ nous projeter ˆ lĠintŽrieur (ˆ endosser la posture de contestation, ˆ nous imaginer ˆ la place de), et enfin au refus de lĠartiste de livrer un objet complet, une sculpture pleine, rassurante, monosŽmique, jouant le jeu de lĠart compltement ; car le creux en sculpture est inattendu et dŽrange, mme le bon gožt. Nous pensions pouvoir rester contemplateur extŽrieurs de sobres monuments commŽmoratifs, et nous voilˆ invectivŽs, impliquŽs, pris au pige. Ces maudits creux troublent notre tranquille dŽambulation esthŽtique. Mais Žvidemment, en esthtes exigeants nous apprŽcions aussi le dŽrangement.

Dans la tapisserie de Jouy animŽe Exploding Wallpaper, les motifs pastoraux sont pulvŽrisŽs jusquĠau dernier par des missiles sortis de nul part. Effets rŽjouissants que cette animation inattendue et cette attaque en rgle, jusquĠˆ la disparition totale, dĠune vision kitchement bucolique du monde. Mais effet comique insoutenable aussi, cĠest lˆ le pige, parce quĠen pas mal dĠendroits dans ce monde des missiles plus ou moins perdus tombent sur des enfants, et que ces images constituent un environnement visuel aussi Žtendu et zappable que de la tapisserie murale. CĠest notre dŽcor bourgeois ˆ nous, o bourgeois veut dire infime partie de la population ˆ lĠabri de la faim, de la misre, de la guerre et des tragŽdies, nous qui avons le temps et le gožt dĠaller voir des expositions et de nous intŽresser ˆ lĠart.

Le papier peint bourgeois a dĠailleurs sžrement quelque chose ˆ voir avec la sociŽtŽ industrielle naissante, et donc avec une nouvelle forme moderne dĠexploitation de lĠhomme par lĠhomme ˆ grande Žchelle. Toutes ces significations sont ainsi capturŽes par lĠartiste qui nous interroge sur ce que nous accrochons sur nos murs, sur ce qui constitue notre dŽcor, et sur les rŽalitŽs que cela nous aide ˆ ne pas regarder.

Arrtons-nous un instant maintenant sur lĠinstance mŽtaphorique ˆ lĠÏuvre chez Brigitte Zieger. Nous noterons que ce qui fait sens dans son travail provient du travail lui-mme, des activitŽs de lĠartiste (au sens gŽnŽrique), si ce nĠest de la matŽrialitŽ mme des Ïuvres. CĠest dessiner qui semble produire quasi naturellement ces dessins-lˆ (les explosions, par exemple, en tant que consŽquences immŽdiates de lĠapposition dĠombres sur le papier), cĠest la sculpture qui semble produire ces sculptures-lˆ (la sculpture et sa tradition commŽmorative, la sculpture comme interpellation du corps du spectateur, les demi-sculptures creuses consŽquences immŽdiates de la technique du moulage), cĠest la vidŽo projetŽe au mur qui aura induit une rŽflexion sur le dŽcor dĠune part, et sur ce qui peut advenir avec lĠŽcoulement du temps de lĠautre (ici le temps amne la disparition, la destruction, lĠentropie, dans le respect parfait du trs naturel deuxime principe de la thermodynamique).  

Parfois encore, lĠartiste fait de jolis et habiles dŽcoupages, et cĠest alors dĠelle-mme quĠelle nous parle, ironisant sur son activitŽ dĠembellissement du monde et son emprise aussi nulle sur les affaires de celui-ci que peut en avoir le passe-temps manuel prŽfŽrŽ des vieilles dames allemandes (lĠart du Scherenschnitt). Fussent-ils rŽalisŽs dans des posters de propagande militaire. 

Dessin, vidŽos, moulage, dŽcoupageÉ ce sont donc bien les mŽdiums qui fournissent les ŽlŽments dĠune interrogation de lĠactivitŽ artistique elle-mme, et de son r™le dans le monde qui est le n™tre.

Quand Brigitte Zieger enfin fait du modelage (Serial Self), cĠest une arme qui appara”t entre ses doigts, comme le prolongement naturel de la main qui crŽe. Cette arme sert dĠailleurs ˆ la reprŽsentation, dans la vidŽo qui est un autoportrait avec miroir, dĠun suicide, et quelques conclusions sĠimposent donc sur la difficultŽ dĠtre artiste ds lors quĠon se regarde faire.

Quelques pices anciennes et autres projets entrevus ˆ lĠatelier me laissent encore ˆ penser que dans lĠaffaire de sa crŽation lĠartiste elle-mme se trouve piŽgŽe. Par exemple : un certain nombre dĠarmes ont ŽtŽ et font encore lĠobjet de sculptures. La fabrication et le commerce des unes et des autres se trouvent ainsi mis en relation, et je crois quĠˆ ce titre Serial Self et le petit objet qui lĠaccompagne sont plus ˆ lire sur le registre socio-conceptuel que sur le registre sentimental.

Mais revenons ˆ nos mŽtaphores. Celles-ci travaillent dans les Ïuvres en travaillant les Ïuvres... Je veux dire : les Ïuvres sont les premires visŽes par les significations qui sĠy dŽveloppent tels des champignons. Les armes, les suicides, les chutes, les destructions, les explosions, les brisures, sont, on lĠaura compris, autant dĠattaques envers lĠart et la sociŽtŽ capitaliste qui en fait ce quĠelle en fait, un produit de luxe et de spŽculation moralement et politiquement inassumable (et de cette sociŽtŽ les symboles ici ne manquent pas : voitures de luxe, paillettes, princesses, pentagones, armes de poing, tanks, F-117É).

Si donc en dĠautres temps une qualitŽ paradoxale du beau fut dĠtre toujours bizarre, Brigitte Zieger nous donne ˆ penser quĠil est surtout irrŽmŽdiablement corrompu.

Wolf Vostell, Bruce Nauman, Martha Rosler, HervŽ Fischer ou Valie Export ont aussi dit par le passŽ, avec dĠautres gestes correspondants ˆ des moments plus utopiques, cette difficultŽ de sĠassumer fabricant dĠart dans une sociŽtŽ injuste et violente. Brigitte Zieger, qui les cite volontiers, les rejoint dans cette sphre de lĠintranquillitŽ de lĠart.

Pas question pour elle dĠembellir lĠespace sans contrepartie. Son travail semble ainsi tendu par la volontŽ schizo•de de produire des Ïuvres esthŽtiquement dŽsirables, mais qui ne cesseront de rappeler que notre monde est une aire dĠinfinies destructions, aliŽnations, et oppressions. Des Ïuvres dŽsillusionnŽes qui interrogent notre capacitŽ ˆ intŽgrer un contrat social minŽ de violences de tous ordres et ˆ garder sur celui-ci Ç les yeux largement fermŽs È.

BAITED ARTWORKS

I would like to draw attention to a general characteristic of Brigitte Zieger's work which is far from insignificant, the fact that it is made up of an insidious machinery questioning art, without however ceasing to imply that it is still, inevitably necessary, in one of these prolific and insoluble paradoxes of post-modernity.

Indeed the viewer is systematically drawn towards, and seduced by, his or her taste for such beautiful compositions, before becoming ensnared; for what lies within them are what everyone feels are the visible signs of all kinds of violence.

Let us develop this approach with the drawings of the series Eye-Dust.  From a distance they are highly effective, due to a certain minimalism and isolation of the form on a virginal background, especially when they are presented as a series.  The drawings capture one's glance and do not let go of it until one has come as close as possible to them, so keen is our curiosity to discover the technique used to create them and the secrets of the sparkling effect one picks up on as one moves towards them.  Undeniably, our pupils' tastebuds are satisfied: from afar the formal variations are enchanting (concentrated explosion, diverging explosion, tree-like explosion, explosion in the form of a cauliflower, of a dense cloud...).  From close up we can appreciate the condensation of meaning since it is nestling even in the graphic touch, which consists of none other than women's eye makeup (eyeshadow which is applied and then blotted), the very paragon of imposed, normalized and marketed beauty.

So what is to be made of the subject portrayed in this series? How can one deal with the guilt of appreciating with esthetic delectation (even the sparkling glitter which is perfectly made up of the residue of incandescent and lethal metal), what is nonetheless a series of images of more or less massive destruction or tests?Worse still, how can one come to terms with the certitude that without such esthetic conflict it would all be much less interesting?

Let us look now at the Anonymous Sculptures.  The artist has laid a trap for us which once again involves us on a physical level.  It comes into play as we move around the artworks.  We think we've understood them the moment we recognize, behind these anonymous figures of people performing insignificant gestures, the meaning of which seems to be their relationship within the very space of the exhibition (looking at something, going towards someone, carrying objects...), as the historical icons of rebellion against repressive, unjust and predatory powers.  And yet when we go round to the back of them, we can see that they are in fact half-sculptures, hollowed out and unfinished.  We shall come back to the metaphors with which Brigitte Zieger always seems to address the work itself (the hollow sculpture here which is the result of the molding technique, and very probably also the absence of information on the flip side of the scene, exposing the scale of media coverage, its photographic nature for us who are so far away from the actual events).  We are in any case confronted with on the one hand the notion of disappearance (of one half of the image, and of the individual portrayed who was the author of the action, of course), and on the other an invitation for us to project towards the interior (and shoulder the posture of protest, imagining ourselves playing the part of), and finally the refusal of the artist to deliver a completed object, a full, reassuring, momosemic sculpture, completely playing the game of art; for the hollowed out part of the sculpture is unexpected and disturbs the very balance of good taste.  We thought we'd be able to continue contemplating sober, commemorative monuments from the outside, and here we are having abuse hurled at us; we are implicated, caught in the trap. These accursed hollows upset our quiet esthetic pondering.  Yet of course, with demanding esthetics, we also appreciate being disturbed.

In the animated Jouy tapestry Exploding Wallpaper, the pastoral motifs are completely pulverized by missiles coming from nowhere.  There is a heartening effect of this unexpected animation and formal attack, right up to its total obliteration, on a kitschly bucolic vision of the world.  And yet an unbearable comic effect too, for here lies another trap, as in many places across the world more or less forgotten missiles land on children, and because these images constitute as drawn out and zappable a visual environment as that of the mural tapestry. 

Bourgeois wallpaper surely has something to do with burgeoning industrial society, and as such with a new modern form of exploitation of men by men on a grand scale.  Each one of these meanings is captured here by the artist who's asking us what exactly we hang on our walls, what our decor is made up of, and what realities they help to keep out of sight.

Let us take a moment now to look at the metaphorical instant in Brigitte Zieger's work.  We can see that what provides the meaning in her work comes from the work itself, from the activities of the artist (in the generic sense), if it is not the very materiality of the work.  It is drawing which seems to almost naturally produce these particular drawings (the explosions, for example, as much as immediate consequences as the apposition of shadows on the paper); it is sculpture which seems to produce these particular sculptures (sculpture with its commemorative tradition, sculpture as questioning of the viewer's own body, the hollow half-sculptures which are the immediate consequence of the molding technique); it is the video projected onto the wall which induces reflection on decor on the one hand, and on what may come about with the passing of time on the other (here time passing brings disappearance, destruction, entropy, with perfect respect for the very natural second principal of thermodynamics).

Sometimes the artist produces pretty and cleverly made cut-outs, and then she is talking of herself, ironically highlighting her own activity of beautifying the world, and the effect it can have on such a world's state, which is as worthless a pastime as the old German ladies favourite hobby (the art of Scherenschnitt).  Except that the cut-outs are made out of military propaganda posters. 

Drawing, video, molding, cut-outs... all providing the elements for an interrogation of the artistic activity itself, and of its role in the world in which we live.

When Brigitte Zieger turns her attention to modelling (Serial Self), a weapon appears between her fingers, like the natural extension of the hand creating it.  Indeed the weapon is useful for the representation, in the video which is a selfportrait with mirror of a suicide, and various conclusions arise therefore on the difficulty of being an artist while watching oneself being one.

Other older pieces and other projects glimpsed at in the studio lead me to think that during the actual creation the artist herself becomes trapped.  For example: a certain number of weapons have been and are still the object of the sculptures.  The fabrication and commerce of them is thus brought together, and I believe that the title Serial Self and the small object accompanying it should be read more on a socio-conceptual level than on a sentimental level. 

But let us come back to the question of the metaphor.  It works in the pieces by getting the pieces to work... What I mean by this is that the artworks are the first in the line of fire of the meanings developing around them like mushrooms.  The weapons, the suicidal acts, falls, destruction, explosions, cracks, are, we have already seen, can be seen as attacks on art and the capitalist society which makes of it what it does, a luxury product of morally and politically acceptable speculation (and the symbols of this society are everywhere in the work: luxury cars, glitter, princesses, pentagons, handheld weapons, tanks, F-117...).

If then in previous times a paradoxical quality of what was beautiful was the ever strange, Brigitte Zieger leads us to believe that it is more importantly irremediably corrupted.Wolf Vostell, Bruce Nauman, Martha Rosler, HervŽ Fischer and Valie Export have all said, in the past, with other approaches corresponding to more utopian moments, that it is difficult to acknowledge being an artmaker in an unjust and violent society.  Brigitte Zieger, who voluntarily quotes them, joins them in this sphere of disquietude in art.

No question of her embellishing the space without a price.  Her work seems to waver between the schizoid desire to produce esthetically desirable artworks, and the need to continually remind us that our world is made up of infinite destruction, alienation and oppression.  Disillusioned artworks which question our capacity to integrate a social contract that is a minefield of every kind of violence, and to keep one's "eyes mainly closed" upon it.

(english translation by Carmela Uranga)

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Attention Ïuvres piŽgŽes
Baited Artworks
(press version)
Philippe Fernandez
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Attention Ïuvres piŽgŽes
Baited Artworks
(catalogue version)
Philippe Fernandez
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Sculpture des images
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La qualitŽ n'a pas de sexe
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BŽnŽdicte Ramade

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Pieces of Possible History
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